jeudi 21 décembre 2017

QH 22. Joffrin et les Gaulois 2. Analyse historique (les Gaulois)

Analyse des assertions de Laurent Joffrin relatives à la Gaule et aux Gaulois


Classement : Gaule ; civilisation gauloise ; pseudo-historien




Ceci est une suite de la page Laurent Joffrin et les Gaulois.

Référence
*Laurent Joffrin, « Sarkozix le Gaulois », dans Libération, 21 septembre 2016

Présentation
Le lundi 19 septembre 2016, Nicolas Sarkozy déclarait au cours d’un meeting tenu à Franconville (Val-d'Oise) :
« Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l’assimilation. Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. »
(voir par exemple dans Le Monde, lien)
Déclaration de style assez « tough » sur le sujet (« exiger », « assimilation ») ; la phrase sur les Gaulois va donner lieu à un débat assez touffu, dont il y a lieu d’examiner plusieurs éléments.

Après avoir donné le texte de Joffrin, je vais ici analyser les éléments historiques relatifs aux Gaulois.
Un des principaux objectifs de Joffrin étant de contredire l’idée que « les Gaulois sont nos ancêtres », il croit bon, dans la foulée, de minimiser les liens entre la Gaule et la France.

La civilisation gauloise
« la civilisation gauloise, plus raffinée qu’on l’a longtemps cru, [est l’] objet d’étude d’une école archéologique féconde »
Sur ce point, rien à dire ; sauf que, ayant rendu cet hommage, il va ensuite procéder à sa dépréciation.

Les peuples gaulois
« A l’époque de Vercingétorix, […] les Gaulois étaient des Celtes, divisés en de nombreux peuples rivaux, qui occupaient un territoire bien plus grand que la France actuelle »
Il semble avoir oublié avoir évoqué précédemment « la civilisation gauloise » : si on admet qu’il n’y avait que des « peuples rivaux », qui donc était le support de cette civilisation ?
Les Gaulois étaient certes politiquement divisés, comme du reste les Grecs des époques archaïque et classique ; il y avait plusieurs dizaines de « peuples » (Arvernes, Eduens, Séquanes, Helvètes, etc.), mais il faut tenir compte des liens de clientèle qui unissaient des peuples plus puissants et des voisins moins importants. Incontestablement, il y avait des rivalités : d’ailleurs, de 58 à 52, certains peuples gaulois ont été des alliés de César (et ont de ce fait bénéficié d’avantages par la suite).
il est probable que le concept de « Gaule » (Gallia) a été créé par les Romains à une date d’ailleurs ancienne, dès le IVème siècle (Gaule cisalpine, Gaule transalpine), et concrétisé administrativement seulement après la conquête de César. Il n’empêche que l’action de Vercingétorix s’est déployée sur le territoire de la « Gaule transalpine », dont la plupart des habitants (sauf les « Aquitains », au sud de la Garonne) parlaient la même langue et avaient une religion commune.
Notons que Joffrin ne s’interroge absolument pas sur ce qu’était la « celtitude », par exemple sur le rapport entre Gaulois et Bretons, tous celtes ; il ne s’interroge pas non plus sur l’origine du mot Gallia (déformation de Keltia ? Cette question n’est jamais évoquée, même par les « historiens sérieux »).

Les traces actuelles de la civilisation gauloise : le lexique
« de la civilisation gauloise […], nous n’avons pas conservé grand-chose, sinon quelques mots, moins nombreux que les mots arabes dans la langue française. »
L’indéfini « quelques »se réfère à une faible quantité (une dizaine, une vingtaine tout au plus) ; le nombre de mots français d’origine gauloise est en réalité de l’ordre de plusieurs dizaines (voir le livre de Pierre Gastal, Nos racines celtiques Du gaulois au français, Désiris, 2013 ; pour rassurer Laurent, il ne s’agit pas des racines idéologiques, mais étymologiques).
La comparaison avec le nombre de mots arabes est évidemment un lieu commun assez inepte (par exemple, on va trouver les mots « alcade », « alcarazas », ou plus courant « alcazar », dont les référents réels sont plus espagnols qu’arabes).

Les traces actuelles de la civilisation gauloise : la toponymie
« de la civilisation gauloise […], nous n’avons pas conservé grand-chose, sinon [...] une série de toponymes au parfum désuet. »
C’est ici Joffrin fait la preuve de son ignorance et de son incompétence….]
Il suffit de consulter un « auteur sérieux », par exemple Charles Rostaing, Les Noms de lieux, dans la collection « Que Sais-Je », pour constater que les toponymes gaulois sont assez nombreux (cond-, -dun-, -briv-, -mag-, etc.) : d’où nous viennent les nombreux « Condé », « Verdun », mais aussi Lyon (Lugdunum), Brive (Briva), Rouen (Rotomagus), Caen (Catomagus), Argenton (Argentomagus), etc. ; de surcroît, un grand nombre de villes françaises tirent leur noms du peuple (devenu cité romaine) dont elles furent la capitale :Nantes, Paris, Rennes, Vannes, Lisieux, Bayeux, Sées, Avranches, Amiens, Reims, Soissons, Senlis, Poitiers, Saintes, Bourges, Angers, Tours, Langres, Sens, etc. Ces villes avaient un autre nom en gaulois (Lutet*/Lutetia en ce qui concerne Paris, mais le nom des Parisii est bel et bien gaulois, comme celui des Bituriges, des Andégaves, des Lingons). Certains de ces noms de peuples ont aussi donné des noms de provinces : Berry, Anjou, Périgord, Poitou, Touraine, Velay, Gévaudan et quelques autres (sans doute est-ce là que Joffrin repère un « charme désuet » !).
En revanche, les noms de Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, etc. ont d’autres origines que la langue gauloise.

Les traces actuelles de la civilisation gauloise : la géographie historique
Un autre point (non évoqué par l’ignorant M. Joffrin) est la continuité assez forte entre les territoires des peuples gaulois et le découpage départemental de la France : les peuples gaulois sont dans l’ensemble devenus des cités gallo-romaines, sièges des évêchés après l’instauration du christianisme ; très souvent les limites des évêchés ont perduré jusqu’en 1789 et ont en partie été reprises par les départements en 1790. C’est ainsi qu’on trouve très souvent en France un toponyme du type « Ingrandes »/ « Eygurande », issu d’un mot gaulois non attesté textuellement (*equoranda) indiquant la limite du territoire d’un peuple et que l’on retrouve souvent actuellement en limite de département (par exemple, Ingrandes/Loire, aujourd'hui entre la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire, autrefois entre les Namnètes et les Andégaves). Voir ma page Le toponyme « Ingrandes ».

De la Gaule à la France
Enfin, à l’échelle « nationale », il y a une certaine continuité territoriale entre cette Gaule transalpine (entre les Pyrénées, les Alpes et le Rhin), répartie par les Romains entre l’Aquitaine (très élargie par rapport à l’Aquitaine de César, puisqu’elle vient jusqu’à la Loire), la Lyonnaise et la Belgique, et la France, apparue, formellement, en 843, au « traité de Verdun », sous la forme de la Francie occidentale, délimitée à l’est par le Rhône, la Saône et la Meuse. 
Cette dernière continuité est plus difficile à expliquer*, étant donné qu'il y a eu un hiatus après l'époque romaine des Gaules  (« Tres Galliae », « Préfecture des Gaules ») pendant la période mérovingienne, où les entités politiques sont très variables du point de vue territorial et onomastique : « Neustrie », « Austrasie », « Aquitaine » (le seul toponyme romain à se maintenir), « Bourgogne » (Burgundia, royaume des Burgondes), royaume de Paris, d’Orléans, etc., royaume de Gontran, de Childebert, etc. avant d'arriver aux entités définies par le traité de Verdun, qui ne se réfèrent pas non plus à la Gaule : « Francia occidentalis », « Francia orientalis » et « Lotharingia ». 
La France, prolongement de la « Francia occidentalis », s'est par la suite pas mal étendue vers l'est, vers le Rhin et les Alpes (ses « frontières naturelles ») et, au final, l'écart entre les territoires « gaulois » et le territoire français métropolitain s'est beaucoup réduit.
*Note
Cette continuité résulte peut-être, en partie, du maintien de l'usage du mot « Gaule » dans l'Eglise, notamment dans le titre de « primat des Gaules » (qui remonte au moins à l'époque carolingienne) et dans le terme de « gallicanisme » (à dater) ; noter aussi la formule « Lyon, capitale des Gaules » (qui est peut-être récente et dans ce cas pas très significative).

Ajout (17 mars 2018)
En revanche, il n'y a pas de continuité « spirituelle » ou « idéologique » à travers un « sentiment patriotique gaulois » (ou quelque chose d'analogue) qui n'existait pas dans la Gaule indépendante, ni dans les Gaules gallo-romaines (voir Christian Goudineau, Regards sur la Gaule, 1998) et n'a donc pas pu se « transmettre ». 



Création : 21 décembre 2017
Mise à jour : 17 mars 2018
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 22. Joffrin et les Gaulois : Analyse historique (les Gaulois)
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/joffrin-et-les-gaulois-analyse.html








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