jeudi 3 mai 2018

70. Dominique Bertinotti, la gauche et la déchéance de nationalité

A propos de l’opinion (de gauche) de Dominique Bertinotti sur la question de la déchéance de nationalité 


Classement :




Référence
*Dominique Bertinotti, Le jour où la gauche s’est perdue…, Paris, Calmann-Lévy, 2016

L’auteur
Dominique Bertinotti, née en 1954, est agrégée d’histoire, docteur en histoire, militante socialiste ; elle a été maire du 4ème arrondissement de Paris (2001-2012) et ministre déléguée à la Famille (2012-2014) ; elle est actuellement au Conseil d’Etat.

Texte
En gras : les termes qui font l'objet de commentaires.

« Page 136
Pour ma part, je souhaite que les religions, toutes les religions, restent dans la sphère privée et que nos gouvernants redonnent enfin un sens, une grille de lecture du monde dans lequel nous évoluons et ne se satisfassent pas de réponses de court terme, à effets non maîtrisés sur le long terme.
Marquer les esprits, c’est devenu une sorte de viatique de l’exécutif ; ainsi modifions la Constitution. Bigre ; ce n’est pas rien une Constitution, c’est elle qui nous régit, qui définit la nature de notre régime, c’est un texte que l’on ne modifie pas aisément et c’est bien. Mais avoir voulu y introduire la « déchéance de nationalité », c’est rompre avec notre tradition de gauche.
Pendant la Révolution française, le nationalisme est porté par les révolutionnaires ; c’est un nationalisme d’inclusion de tous. C’est l’Assemblée constituante qui vote, le 27 septembre 1791, l’abolition de toute discrimination concernant les juifs et leur reconnaît la pleine égalité de droits. Ce nationalisme, celui de la « patrie en danger » de 1792, se veut porteur d’émancipation, de libertés. C’est lui qui va inspirer le « printemps des peuples » en 1848 où nombre d’Etats (Allemagne, Autriche, Pologne…) réclament des constitutions, des libertés, où la nation est émancipatrice et synonyme de démocratie.

Page 137
Après la guerre de 1870, à la fin du XIX° siècle, le nationalisme prend un tout autre visage et s’oriente vers un nationalisme d’exclusion : haine de l’autre, de l’étranger, du juif, du franc-maçon, etc. on sait où cela nous a menés.
La gauche doit être intraitable avec ce nationalisme-là, et je ne me retrouve pas dans le chemin qu’elle emprunte aujourd'hui.
Cela heurte ma conscience de gauche que l’on ait cherché à faire inscrire dans la Constitution ce principe de « déchéance ». Mais, là aussi, le mot claque, laissant que cela suffira à détourner des électeurs du Front national ; bien au contraire, c’est acclimater nos concitoyens à l’extrême droite, tout comme en tenant un discours incohérent sur les migrants. On laisse la Grèce gérer un afflux qui la dépasse car elle est ce pays qui soulage notre conscience : ne pas faire de la Méditerranée un cimetière à ciel ouvert. On réprimande Angela Merkel sur ses prises de position d’accueil des migrants ; ne pourrait-on pas lui reconnaitre plutôt du courage ? la différence nous enrichit toujours.
Ni angélisme ni stigmatisation et l’impératif de ne pas céder à l’air du temps. Rien n’est pire qu’un exercice du gouvernement fondé sur une lecture sondagière de l’opinion publique. »

Commentaires
1) Approximations voire pis
On notera un certain nombre d’approximations, aussi bien stylistiques que conceptuelles, qui montrent que ce texte a été écrit à la va-vite.
Viatique : « Argent, provisions que l’on prend en vue d’un voyage. Soutien. L’extrême-onction » (qui est un soutien en vue du « dernier voyage »). Bertinotti utilise le mot de façon inappropriée, à la place de « objectif permanent », voire « tic compulsif » !
Mais : pourquoi introduire la phrase par cette marque d’opposition, alors qu’elle est dans la continuité de ce qui précède ; il aurait fallu écrire « de surcroît » !
Inclusion de tous : « inclusion » aurait largement suffi !
Etats : il va de soi que ce ne sont pas des « Etats » qui font le printemps des peuples de 1848 ; d’autant que ni l’Allemagne, ni l’Italie, ne sont à l’époque des « Etats » !
Pologne : en l’occurrence, il ne se passe pas grand-chose en Pologne en 1848, qui s'était soulevée en 1830 et à un moindre degré en 1846 ; les principaux protagonistes des événements de 1848 sont les Français, les Allemands, les Hongrois et les autres peuples de l’Empire d’Autriche, les Italiens.
on sait où cela nous a menés : elle fait ici allusion aux « périodes les plus sombres de notre histoire », sautant allègrement par-dessus un certain nombre d’événements (la Première Guerre mondiale, la crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale, notamment) !
Cela heurte ma conscience de gauche : Bertinotti est tout à fait représentative de la gauche française, hypersensible sur des points hypermarginaux !
la différence nous enrichit toujours : bonjour les lieux communs ! Pour compléter la panoplie, j'en énoncerai un autre : conscience sans science est brouillard de l'âme...

2) la « tradition de gauche » et la déchéance de nationalité
Dominique Bertinotti a une vision assez angélique de la « tradition de gauche », mal définie, du reste, car elle se réfère de façon très superficielle à différentes époques de l’histoire, interprétées de façon impressionniste. De plus, au lieu de s’attacher à la question de la déchéance, elle évoque surtout la nation et le nationalisme (qui furent d'abord bon, puis mauvais).
En réalité, sur la question du refus de la déchéance de la nationalité, il ne s’agit pas d’une « tradition de gauche », mais d’un point de vue humaniste adopté au plan international après la Seconde Guerre mondiale, pour protéger les populations civiles contre les abus étatiques des années 1920-1930 (Russie soviétique, Allemagne nazie, notamment). Ce point de vue « humaniste international » est certainement valable, puisque, s'il avait été mis en œuvre, il aurait pu empêcher (en 1982) la déchéance de nationalité des Rohingyas de Birmanie (membre de l’ONU) et leur expulsion de ce pays dans les années récentes.
En ce qui concerne la tradition de gauche en France, il n’en a pas toujours été de même.
Contrairement à ce qu'elle pense, 1789 n’était pas, sur le plan idéologique, fondé sur l’ « inclusion de tous » (la rupture entre Tiers Etat et Noblesse étant un élément idéologique constitutif de la Révolution) ; par la suite, sur le plan juridique, il est évident que, les personnes placées sur la liste des émigrés ont été considérées comme « déchues de la nationalité française » jusqu’à la Restauration. Toutes les constitutions de l’époque révolutionnaire comportaient les clauses concernant la « perte de la qualité de Français » (notamment au motif de « s’être mis sans autorisation au service d’une puissance étrangère ») ; ces clauses étaient aussi présentes dans le Code civil, régissant la question de la nationalité à partir de 1804. La loi de 1889 a modifié de façon essentielle les modalités d’accès à la qualité de Français, mais n’a pas mis en question les modalités de la perte de cette qualité.

Conclusion
J’ai été assez surpris en apprenant, après avoir rédigé l’essentiel de cette page, que Dominique Bertinotti avait réussi à obtenir l’agrégation d’histoire !


Création : 3 mai 2018 
Mise à jour :
Révision : 2 novembre 2018
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 70. Dominique Bertinotti, la gauche et la déchéance de nationalité
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2018/05/dominique-bertinotti-la-gauche-et-la.html








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