mercredi 6 décembre 2017

QH 19. Philippe Nemo, le Front populaire et le régime de Vichy

A propos d’une assertion fréquemment utilisée par des gens de droite à propos du rôle du Front populaire dans l’avènement du régime de Vichy


Classement : Front populaire ; régime de Vichy ; Philippe Nemo ; pseudo-historiens




Références
*Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, Points Seuil, « Nouvelle histoire de la France contemporaine », volume 14, 1979
*Philippe Nemo, Les Deux Républiques françaises, Paris, PUF, 2008

Présentation
Une assertion récurrente consiste à affirmer que « Pétain a reçu les pleins pouvoirs de la Chambre du Front populaire » et à en tirer la conclusion que le régime de Vichy est la conséquence, la continuation du Front populaire, bref, de la « gauche », et que la « droite » est gravement calomniée à ce sujet.
On trouve cette assertion, par exemple, sous la plume de Nemo, personnalité intellectuelle notable.
Il s’agit évidemment d’un « élément de langage » destiné à déconsidérer le Front populaire. Le Front populaire et les gouvernements de Front populaire peuvent faire l’objet de toutes les critiques qu’on veut, à condition qu’elles soient fondées. Celle-ci ne l’est pas.
Je commencerai par citer le texte d’un historien.

Texte 1 : Jean-Pierre Azéma, historien
Page 82
[Le 10 juillet], « l’Assemblée nationale [c’est-à-dire : la Chambre des députés et le Sénat réunis] accordait par 468 voix contre 80(1) et 20 abstentions « tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité […] du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution de l’Etat français.
Ils étaient 58 députés et 22 sénateurs à avoir conservé la tripe républicaine. C’était peu : il manqua à l’appel beaucoup de radicaux, également beaucoup de socialistes (88 députés votent les pleins pouvoirs contre 29) […]. '''On dit communément que c’est la Chambre du Front populaire qui vota les pleins pouvoirs ; il faut nécessairement apporter deux correctifs''' : une cinquantaine de députés communistes, tout comme les parlementaires du Massilia, étaient absents et – surtout – l’ « Assemblée nationale » était également composée d’un Sénat qui à de très fortes majorités avait par deux fois fait tomber Blum. Le gros des opposants n’appartenait pas à la droite : 12 députés radicaux-socialistes, 14 sénateurs de la Gauche démocratique, 36 députés ou sénateurs socialistes. » [donc : 18 votes négatifs seulement viennent de la droite].
Ajoutons que les gouvernements de Front populaire, c'est-à-dire fondés sur l’alliance entre le PCF, la SFIO et le Parti radical, ont été au nombre de trois : Blum 1, Blum 2, Chautemps. A partir de mars 1938 (gouvernement Daladier), on a affaire à des gouvernements d’Union nationale, fondés sur l’alliance entre le Parti radical et les partis de droite. Lorsque Pétain demande les pleins pouvoirs en juillet 1940, cela fait donc deux ans que la Chambre des députés n’est plus « de Front populaire ».
Remarquons à cet égard que les mesures contre les réfugiés de 1939 sont prises par ces gouvernements d’Union nationale, et non pas, comme l’a écrit BHL, par des gouvernements de Front populaire.

Texte 2 : Philippe Nemo, sophiste
Dans l’ouvrage mentionné plus haut, page 226 (chapitre V), il analyse l’après-guerre, notamment la « collusion » entre communistes et gaullistes, et les conséquences de cette collusion), il écrit :
« Un autre point d’histoire fut plus complètement encore enseveli dans l’oubli et le refoulement – à savoir le fait que le régime de Vichy lui-même, surtout lors de ses années de collaboration affirmée, était constitué en grande partie de gens de généalogie « 1793 » – à savoir d’une part, l’extrême droite des Ligues, et, d’autre part, des représentants éminents de la gauche et de l’extrême gauche de l’immédiat avant guerre.
N’oublions pas, d’abord, que le régime de Vichy a été instauré par un vote de la chambre du Front populaire, en majorité de gauche ; les trois quarts des députés socialistes et radicaux ont voté pour le tandem Pétain-Laval. »

Analyse
Je laisserai de côté le premier paragraphe, illustration de la thèse de Nemo selon laquelle il y a deux traditions républicaines, « 1789 » (=le Bien) et « 1793 » (=le Mal), que l’on retrouve à tout moment dans l’histoire des XIXème et XXème siècles. Cela nécessitera d’autres développements ; on notera seulement le caractère arbitraire de son système d’équation : « Vichy collaborateur = 1793 = l’extrême droite ligueuse +  des représentants EMINENTS de la gauche et de l’extrême gauche ». Ce genre d’amalgame permet de dire à peu près tout et son contraire. Remarquer le style pesant : « à savoir » répété deux fois en trois lignes.
Je passe au second paragraphe, qui est purement factuel et dans lequel ses théories tortueuses n’apparaissent pas.
1) tout d’abord, on ne doit pas confondre a priori « vote des pleins pouvoirs » et « instauration du régime de Vichy » (tel qu'il a été) : un certain nombre de députés et sénateurs pensaient que Pétain ferait un autre usage de ses pleins pouvoirs ; en particulier, ils ne pensaient certainement pas que Pétain (le « vainqueur de Verdun ») mènerait une politique de collaboration avec l’occupant allemand
2) piètre historien que celui qui emploie la formule méprisante « le tandem Pétain-Laval » (Nemo se perçoit certainement comme quelqu'un qui n’aurait pas voté les pleins pouvoirs ; mais ça, Philippe, va donc savoir !)
3) comme l’indique Jean-Pierre Azéma, le vote des pleins pouvoirs n’a pas seulement concerné « la chambre du Front populaire » ou plus exactement la chambre des députés élue en 1936, dont nombre de membres (de gauche) étaient absents, mais aussi le Sénat (opposé au Front populaire depuis les origines), les deux formant « l’Assemblée nationale » (expression qui a pris un autre sens dans la Vème République ; actuellement, on appelle cela le « congrès »)
4) de surcroît, cette chambre des députés n’était plus « de Front populaire » depuis 1938
5) s’il est vrai que « les trois-quarts » des socialistes (notamment les fauristes, pacifistes et munichois) et radicaux ont voté les pleins pouvoirs, Nemo aurait pu nous indiquer le pourcentage des députés de droite qui ne les ont pas votés ; mais il s’est sans doute rendu compte que sa « démonstration » aurait été moins belle.
Cette courte analyse prouve le sérieux de Nemo (ancien normalien, agrégé, docteur, professeur d’Université) quand il prétend expliquer la réalité de l’histoire. Je suis notamment persuadé qu’il a cru que « Assemblée nationale » désignait, comme aujourd'hui, l’assemblée des députés.
Nemo n’a probablement pas lu Azéma ; il s’est sans doute contenté de Charles Millon qui avait écrit la même chose que lui en 1998 (La Paix civile, Odile Jacob).

Conclusion
Je connais deux Nemo : Philippe et Alithia (la furie antiwikipédienne) ; entre ces deux Nemo, j’avoue que je ne sais pas quel est le moindre…



Création : 6 décembre 2017
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH19. Philippe Nemo, le Front populaire et le régime de Vichy
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/philippe-nemo-le-front-populaire-et-le.html








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