jeudi 7 décembre 2017

QH 20. Eliane Viennot, la Révolution française et Donald Trump

Quelques remarques sur un article d’Eliane Viennot à propos de la Révolution française


Classement : Révolution française ; pseudo-historienne ; post-vérité historique




Référence
*Éliane Viennot, « Comment la révolution française prive les femmes de citoyenneté », Marianne, 22 décembre 2016 (lien)

Présentation
Eliane Viennot, que j’appellerai ci-dessous « Viennot », est actuellement au premier rang de la lutte pour l’ « écriture inclusive », dont elle est un très chaud partisan et un tonitruant héraut (voir la page Libération et maîtresse Eliane (Viennot)).
Comme je le signalais, elle fut l’auteur, à la fin de l'année 2016, de cet article qui vaut son pesant de cacahuètes sur la Révolution française et les femmes. Sa campagne pour l’écriture inclusive est dans le droit fil de ses théories historiques : c’est le grand n’importe quoi.
J'en propose ci-dessous le texte, en grande partie disponible en ligne, et l'analyse.

Texte
« Nous pensons tous que la liberté et l'égalité, en France, ont débuté en 1789. C'est l'enseignement de l'école, des hommes politiques et de certains historiens. La réalité est tout autre.
De même que le fameux suffrage universel de 1848 était réservé aux « Français en âge viril » (proclamation du 16 mars), l'égalité mise en musique à partir de l'été 1789 ne concernait que les hommes. Si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen publiée en août avait pu laisser planer des doutes, la loi électorale du 22 décembre les levait clairement : seuls les « citoyens actifs » (les hommes relativement riches et hors de « l'état de domesticité ») pouvaient voter et être élus. Ces distinctions allaient toutefois fondre d'un scrutin à l'autre, jusqu'à être abolies en juin 1793 : la deuxième Constitution faisait de tous les hommes des citoyens, tandis que toutes les femmes demeuraient à la porte de la modernité.
Que cette constitution-là n'ait pas été appliquée ne change rien à l'affaire. C'est bien un principe qui est inscrit dans le marbre dès les premiers mois de la Révolution par ceux qui se sont autoproclamés « constituants » et qui s'autorisent à légiférer pour leurs compatriotes. Un principe élaboré au cours du XVIIIe siècle par les philosophes et les savants des Lumières, selon lequel les deux sexes sont destinés par la nature à des [suite du paragraphe] rôles bien distincts : aux hommes les affaires publiques, aux femmes les affaires domestiques (et « l’empire de l’amour », ajoutent-ils, pouvoir étourdissant dont elles doivent se contenter). La nature ne parlant pas assez fort, c’est avec des lois, des constitutions et bientôt la guillotine que ces quelques centaines d’hommes, toujours élus par moins de 10 % de la nation, vont mettre de l’ordre dans une société toute entière saisie par le vertige de l’égalité, après la prise de la Bastille, l’ « abolition des privilèges » et la Déclaration des droits qui marquent le premier été de la Révolution. »
[fin du paragraphe]

Commentaire
Viennot a entièrement raison en ce qui concerne l’attitude des révolutionnaires vis-à-vis des femmes. C’est du reste un lieu commun depuis quelques décennies, notamment à travers la mise en valeur de la personnalité d’Olympe de Gouges. L’article de Viennot n’a rien de « révolutionnaire » sur le plan historiographique.
Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est la façon dont elle présente le contexte : la Révolution, les Lumières, etc.

Analyse par phrases symptomatiques
1) « Nous pensons tous que la liberté et l'égalité, en France, ont débuté en 1789. C'est l'enseignement de l'école, des hommes politiques et de certains historiens. La réalité est tout autre. »
On discerne le thème conspirationniste de la « science officielle » contre laquelle va se dresser une valeureuse historienne isolée, bien que puisque « certains historiens » sont ralliés à la « science officielle », certains autres historiens partagent certainement le même point de vue qu’elle. Des noms, des noms !

2) « De même que le fameux suffrage universel de 1848 était réservé aux « Français en âge viril » (proclamation du 16 mars), l'égalité mise en musique à partir de l'été 1789 ne concernait que les hommes. »
Les révolutionnaires de 1789 auraient-ils copié sur ceux de 1848 ? Que fait la police ?
Pourquoi « mise en musique » ? Que fait le chef d'orchestre ?

3) « ceux qui se sont autoproclamés « constituants » et qui s'autorisent à légiférer pour leurs compatriotes »
C’est à peine croyable !
Un rappel des faits est nécessaire. En 1788, Louis XVI décide pour diverses raisons de réunir les Etats généraux du royaume, dont les députés (du Clergé, de la Noblesse, du Tiers Etat) sont élus au printemps 1789. Ils se réunissent le 5 mai à Versailles. Le principe est qu’ils doivent siéger séparément par ordre (un ordre = une voix), ce que les députés du Tiers (50 % des députés) n’acceptent pas (ils veulent une réunion générale, avec un député = une voix).
Suite à diverses péripéties, la situation étant bloquée, les députés du Tiers Etat décident de se proclamer « Assemblée nationale » (17 juin) puis prononcent le serment du Jeu de Paume (20 juin 1789) ; n'osant pas employer la force, Louis XVI cède et, le 27 juin, enjoint aux députés du clergé et de la noblesse qui ont encore refusé de le faire d’aller siéger dans cette nouvelle Assemblée qui se proclame « Assemblée nationale constituante » (9 juillet).
Il s’agit bien d’une « autoproclamation » ; mais Viennot donne à ce mot un sens manifestement péjoratif, alors que, de façon générale, on considère qu’il s’agit du premier acte révolutionnaire de la période. Cette « autoproclamation » se fait contre le pouvoir du roi (en théorie « absolu ») et contre le conservatisme de la majorité des députés du clergé et de la noblesse. Ce que Viennot dit, au contraire, c’est que les députés du Tiers (représentant, avec 50 % des députés, 98 % de la population) ont opéré un coup d’Etat contre le peuple (« s'autorisent à légiférer pour leurs compatriotes »). Le roi et les ordres privilégiés disparaissent du tableau.
Il s’agit d’un délire anachronisant, faisant fi de ce qu'était la situation politique concrète à ce moment (imagine-t-elle que les députés du Tiers auraient dû exiger la tenue d’un référendum ?).

4) « Un principe élaboré au cours du XVIIIe siècle par les philosophes et les savants des Lumières, selon lequel les deux sexes sont destinés par la nature à des rôles bien distincts » 
Viennot nous apprend donc que la répartition des rôles selon le sexe n'a rien à voir avec l'enseignement de l'Eglise (Adam et Eve, elle connait pas), ni avec le droit romain (mater certa, pater semper incertus), ni avec la loi salique (la couronne de France ne saurait échoir à une femme, fût-elle fille de roi) : non, les fautifs, ce sont les « philosophes », les « savants des Lumières » ! Quels fils de putes, pardon, quels salauds, ces Rousseau, Montesquieu et autres Diderot ! 

5) « ces quelques centaines d’hommes, toujours élus par moins de 10 % de la nation »
C'était quasiment une espèce de dictature ! 

Conclusion
J’ai du mal à comprendre comment, dans ces conditions, le titre d’« historien » peut encore être attribué à son auteur. Il s’agit sans doute d’histoire inclusive, dans laquelle il est permis, au son des trumpettes (de l'Apocalypse... voir les aventures de Donald à Jérusalem), de recourir à de la factualité alternative et de construire de la post-vérité.



Création : 7 décembre 2017
Mise à jour : 9 janvier 2017 (restructuration)
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH20. Eliane Viennot, la Révolution française et Donald Trump
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/eliane-viennot-la-revolution-francaise.html








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