mardi 22 avril 2014

33. Daniel Cohn-Bendit apatride Annexe 2 (d) Adresse de Gabriel à la presse

Quelques informations sur une adresse de Gabriel Cohn-Bendit à la presse en février 1968


Classement : la procédure d'expulsion de février 1968




Ceci est une annexe des pages consacrées à l’apatridie de Daniel Cohn-Bendit (Daniel Cohn-Bendit a-t-il vraiment été apatride ?) et, plus particulièrement, d'une des pages relatives à la procédure d’expulsion qu’il a subie en février 1968, comparaissant devant la commission d’expulsion de la préfecture de police le 16 février, suite, notamment, à des propos échangés le 8 janvier avec le Ministre de la Jeunesse et des Sports, François Missoffe.

Présentation
Le dossier concernant cette expulsion, reproduit dans le livre d’Emeline Cazi, Le Vrai Cohn-Bendit, comprend le « mémoire en défense » rédigé par l’avocat François Sarda (Daniel Cohn-Bendit apatride Annexe 2 (a) Le mémoire en défense de François Sarda).et deux pièces jointes.
Emeline Cazi ajoute un autre élément (pages 309-311) : une lettre ouverte adressée par Gabriel Cohn-Bendit à plusieurs organes médiatiques.
Le statut de ce document n’est pas clair. Emeline Cazi indique simplement (page 309) : « Tribune de Gabriel Cohn-Bendit adressée à la presse », sans autres précisions. Elle n’indique pas à qui ce texte a été adressé, ni s’il a été publié.
Une recherche sur Internet ne donne pas de renseignements à ce sujet.

Texte
Les astérisques renvoient à des notes (au dessous du texte).
« Page 309
Lettre d’un professeur français pour la défense de son frère étudiant allemand
La presse en général et votre journal en particulier a relaté les « incidents » qui se sont produits à la faculté de Nanterre le vendredi 27 février 1968. Cette manifestation avait, entre autres, pour but de protester contre la menace d’expulsion d’un étudiant allemand, Daniel Cohn-Bendit.
Cet étudiant est mon frère. Je suis, moi, Français et Professeur (d’allemand) au lycée A. Briand de Saint-Nazaire*. Ceci me donnera peut-être des droits qui sont contestés à mon frère ?
J’expliquerai tout d’abord pourquoi l’un d’entre nous est Français et l’autre Allemand : mes parents, parce que Juifs*, ont dû quitter l’Allemagne en 1933, et sont venus s’installer en France. Né à Paris* en 1936, je fus naturalisé Français à la naissance. Pendant la guerre, mon père fut interné par les autorités de Vichy en zone dite « libre »*. Par la suite, mes parents ont échappés à la déportation, ce que d’aucuns peuvent regretter, car ils n’auraient pas aujourd'hui à expulser mon frère qui est né, en effet, à Montauban, en 1945, après la « libération ». Mes parents, pour des raisons que j’ignore, ne l’ont pas fait naturaliser Français à la naissance. Mon

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frère a fait ses études primaires et même secondaires jusqu’en classe de 5e à Paris.

En 1951, mon père est retourné en Allemagne de l’Ouest pour y exercer son métier d’avocat* ; quelques années après, ma mère l’a rejoint emmenant avec elle mon frère alors âgé de 13 ans [1958] qui termina ainsi ses études secondaires en Allemagne. C’est à cette époque que, jusque là apatride, il devint Allemand. Après la mort de mes parents [1959 et 1963], âgé de 18 ans, il voulut prendre la nationalité française, ce qui lui fut refusé, son domicile légal n’étant plus en France depuis cinq ans. Il dut donc y renoncer. Nous pensions alors que, de toute façon, dans l’Europe d’aujourd'hui, cela n’avait plus guère d’importance. Voilà précisé le cas de cet étudiant « Allemand ».
Pour ce qui est de ses idées et activités politiques je tiens à dire que d’une façon générale, je les partage entièrement : militant syndicaliste révolutionnaire au sein de la F.E.N.*, je porte des critiques analogues aux siennes sur la société française d’aujourd'hui.
En ce qui concerne plus particulièrement « l’insulte » à Monsieur le Ministre Missoffe, je la reprends entièrement à mon compte : répondre à un interlocuteur qui s’étonne de ce qu’un rapport sur la jeunesse passe complètement sous silence les problèmes sexuels, que la piscine (de Nanterre) était là pour les résoudre, est bien en effet un raisonnement de type fasciste. Le sport est une chose, la sexualité en est une autre ; substituer le sport à la sexualité est un aspect des régimes fascistes (et quand je parle de fascisme, je

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sais moi, fils d’émigré allemand, de quoi je parle). Il suffirait de relire les textes sur le sport du régime nazi, du régime de Franco et de celui de la France de Vichy pour le confirmer. Emile Copfermann, dans son petit livre « problèmes de la jeunesse », collection Maspero, cite cette phrase du psychanalyste Wilhelm Reich : la suppression de l’activité sexuelle des jeunes est le mécanisme de base qui produit les structures caractérielles adaptées à l’asservissement politique, idéologique, économique ».

Il est possible que l’idéologie officielle soit de remettre à sa place ce qu’en haut lieu on a appelé « un peuple d’élite, fier et dominateur » !
Il est possible que certains veuillent faire faire à mon frère le chemin inverse de celui qu’Hitler fit faire à mon père (ce rapprochement sera encore considéré comme insultant, mais qu’y puis-je ? les faits sont bien ainsi).
Mais il est plus vraisemblable que, malgré tout ce qui nous sépare par ailleurs, il existe en France une force suffisante pour empêcher cela. »

Notes
*professeur (d’allemand) au lycée A. Briand de Saint-Nazaire : après ses études secondaires et supérieures à Paris (lycée Buffon et Sorbonne), Gabriel Cohn-Bendit vit à Saint-Nazaire à partir de 1959 ; il devient professeur d’allemand en 1961
*parce que Juifs : le départ des parents (dès mars 1933) n’est pas  au fait qu’ils étaient Juifs, mais qu’après l’incendie du Reichstag, son père risquait d’être arrêté en raison de ses activités politiques, comme l’a été son ami Hans Litten, avocat lui aussi
*né à Paris en 1936 : précisément à Montrouge, le 16 avril 1936
*mon père fut interné par les autorités de Vichy en zone dite « libre » : Erich Cohn-Bendit a été interné dès l’automne 1939 (à Villemalard, Loir-et-Cher), puis au printemps 1940 (à Brest), donc avant l’avènement du régime de Vichy ; il a aussi été interné par Vichy à la fin de 1940 (à Septfonds, Tarn-et-Garonne) mais n’y est pas resté très longtemps (la chronologie reste à préciser sur ce point).
*mon père est retourné en Allemagne de l’Ouest pour y exercer son métier d’avocat : métier qu’il n’avait pas le droit d’exercer en France (en l’absence d’équivalences des diplômes à cette époque) ; en Allemagne, il se spécialise dans la défense des intérêts des victimes du nazisme.
* militant syndicaliste révolutionnaire au sein de la F.E.N. : il est alors membre du SNES et milite dans la tendance Ecole Emancipée (il a quitté le SNES en 1975)

Commentaire
Ce texte n’est pas le meilleur qu’ait écrit Gabriel Cohn-Bendit : on y trouve un certain nombre de traits caractéristiques de ce qu’était à l’époque le « gauchisme ».
1) quelques traits gauchistes excessifs
Absence d’humour
Contrairement à François Sarda dans son mémoire en défense, Gabriel Cohn-Bendit laisse de côté le fait que la réflexion de Missoffe sur « la piscine comme moyen de régler les problèmes sexuels » était très probablement une blague, certes de très mauvais goût.
Gabriel Cohn-Bendit fait comme si c’était « significatif », comme si c’était l’indice d’un possible plan de mise au pas de la jeunesse et de la société toute entière, ceci en s'appuyant sur rien moins qu’une citation de Wilhelm Reich.

Procès d’intention
« Par la suite, mes parents ont échappés à la déportation, ce que d’aucuns peuvent regretter, car ils n’auraient pas aujourd'hui à expulser mon frère »
« Il est possible que certains veuillent faire faire à mon frère le chemin inverse de celui qu’Hitler fit faire à mon père (ce rapprochement sera encore considéré comme insultant, mais qu’y puis-je ? les faits sont bien ainsi). »
Il n’y a évidemment aucune équivalence entre l’expulsion d’un étranger hors de France en 1968 et l’exil d’un adversaire du nazisme en Allemagne en 1933 (pas plus qu’entre un CRS et un SS ; mais cette équivalence était posée dans le cadre des manifestations, comme une provocation, je ne pense pas que cela ait jamais été énoncé sérieusement, dans un texte réflexif).
Le projet d’expulsion de Daniel Cohn-Bendit en février (ainsi que son expulsion effective en mai, et encore plus le long délai avant la levée) relevait de la bassesse (un des aspects du régime gaulliste), mais n’a rien à voir avec l’hitlérisme. Erich et Herta Cohn-Bendit sont partis parce qu’il y avait pour eux un risque vital réel (Hans Litten est mort en camp en 1938).
Je pense qu’il faut signaler ces « marques d’époque » (que, probablement, on ne trouverait pas sous la plume de son frère), ces scories de la pensée extrémiste, avant d’en venir aux informations concernant les questions juridiques.

Autres
*« ... après la "libération" »
*« Il est possible que l’idéologie officielle soit de remettre à sa place ce qu’en haut lieu on a appelé "un peuple d’élite, fier et dominateur" ! »
Il démarque ici une phrase assez connue du général de Gaulle, « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur », visant les Israéliens (conférence de presse du 27 novembre 1967) avec une tonalité critique relativement à leur usage de la victoire de juin 1967.
*« Quand je parle de fascisme, je sais moi, fils d’émigré allemand, de quoi je parle. »

2) Les questions de nationalité
a) la différence de nationalité entre les deux frères 
« Né à Paris en 1936, je fus naturalisé Français à la naissance. »
« mon frère […] est né […] en 1945, après la « libération ». Mes parents, pour des raisons que j’ignore, ne l’ont pas fait naturaliser Français à la naissance. »
Gabriel Cohn-Bendit utilise un terme inapproprié : « naturaliser ».
Il s’agit en fait de ce que dans le vocabulaire juridico-administratif on appelle « acquisition de droit », qui se différencie de la naturalisation (« acquisition par décret »), mais aussi de l’ « attribution » (filiation d’un parent français ou naissance de parents étrangers en France si l’un d’eux est né en France).
En l’occurrence, Gabriel et Daniel Cohn-Bendit, étant nés en France de parents nés à l’étranger, pouvaient devenir français, soit à leur majorité (moyennant certaines conditions de résidence), soit avant, à condition que leur père (ou un substitut légal) en fasse la demande.
Il semble donc qu’une demande a été faite pour Gabriel (probablement entre 1936 et 1939) mais n’a jamais été faite pour Daniel.

b) l'apatridie de Daniel
« C’est à cette époque [après 1958] que, jusque là apatride, il devint Allemand. »
Probablement une des plus anciennes mentions de l'apatridie. 

c) la demande de nationalité française 
« Après la mort de mes parents, âgé de 18 ans, il voulut prendre la nationalité française, ce qui lui fut refusé, son domicile légal n’étant plus en France depuis cinq ans. »
C’est donc en 1963 que Daniel aurait fait des démarches pour acquérir la nationalité française.
Dans l’ordonnance de 1945, il est prévu (article 52) que :
« L'enfant né en France de parents étrangers [nés à l’étranger] peut réclamer la nationalité française […] si au moment de sa déclaration il a en France sa résidence et s'il a eu depuis au moins cinq années sa résidence habituelle en France […]. ».
Ayant vécu en Allemagne depuis 1958, il ne satisfaisait pas la condition de cinq années de résidence en France (il ne s’agit pas nécessairement du « domicile légal »).
A cela s’ajoute le fait qu’il avait pris la nationalité allemande, ce qui pouvait constituer un autre obstacle.
En l’occurrence, cette assertion d’une demande de nationalité française en 1963 (François Sarda l’évoque aussi, mais la place plutôt en 1965) contredit l’idée du choix de la nationalité allemande « pour échapper au service militaire » ; s’il avait obtenu la nationalité française, il aurait été assujetti à la conscription (comme Gabriel, qui a fait son service militaire en 1963-1964).



Création : 22 avril 2014
Mise à jour :
Révision : 15 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 33. Daniel Cohn-Bendit apatride Annexe 2 (d) Adresse de Gabriel à la presse
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/04/33-dcb-annexe-2-d-gabriel-presse.html








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