dimanche 9 mars 2014

7. Daniel Cohn-Bendit apatride 3 La législation française

Quelques informations sur la législation française de cette époque, en remontant jusqu'au XIXème siècle


Classement : people ; apatridie




Ceci est la suite des pages
*Daniel Cohn-Bendit a-t-il vraiment été apatride ?, consacrée aux déclarations de l’intéressé sur le sujet et à certaines obscurités ;
*Daniel Cohn Bendit a-t-il vraiment été apatride ? (2), consacrée aux biographies de l’intéressé dans les Wikipédias française et allemande.
Ces notices ne permettant pas de répondre clairement à la question posée, je crois utile de présenter d’abord les législations française et allemande en vigueur durant cette période.

Sources
La source principale facilement accessible est le livre de Patrick Weil, Qu’est-ce qu’être français ?, Grasset, 2002

Remarques 
Les astérisques renvoient à des notes en bas de page.
Les suppositions et réserves sont marquées (?)

La législation française sur la nationalité
Daniel Cohn-Bendit est né de parents étrangers le 4 avril 1945 à Montauban. Son frère aîné Gabriel est né en 1936 à Montrouge. 
Leur statut quant à la nationalité est régi par la loi de 1889, avec d’éventuelles modifications introduites par la loi de 1927, puis par l'ordonnance de 1945, qui reprend largement les dispositions antérieures.

La loi de 1889* 
Elle modifie les dispositions du Code civil de 1804 qui indiquait qu’« est français l’enfant né d’un père français » (article 10) et que « l’enfant né en France d’un père étranger peut réclamer la qualité de Français dans l’année qui suit sa majorité » (article 9 ; c'est ainsi qu'Emile Zola devient français en 1861). L'article 10 reste en place (il est toujours en vigueur), mais relativement à l'article 9, la loi de 1889 donne à la territorialité une plus grande importance : désormais 
1) sont français dès la naissance les enfants nés en France de parents étrangers si le père (? ou : un des parents?) est  né en France (Weil, p. 60) ; 
2) les enfants nés en France de père étranger né à l'étranger (?ou : de parents étrangers nés à l’étranger?)  deviennent français à la majorité s’ils sont alors domiciliés en France (à moins de décliner la nationalité française dans l'année précédant la majorité) [c'est dans ce cas de figure que se trouvent Gabriel et Daniel Cohn-Bendit].
Des dispositions permettent aux enfants concernés d’anticiper la majorité et de devenir français par déclaration à partir d’un certain âge.

La loi de 1927*
Elle concerne surtout le régime des naturalisations (c'est la raison pour laquelle le régime de Vichy a soumis à examen les naturalisations depuis cette date). 
Elle modifie l'article 19 du Code civil qui faisait une étrangère de la Française épousant un étranger.
Dans l'ensemble, elle ne concerne pas le cas de Daniel Cohn-Bendit.

L'ordonnance de 1945*
L'ordonnance de 1945, promulguée en octobre, ne modifie pas fondamentalement la législation de la nationalité pour les enfants d'étrangers : 
«   Article 23
 Est français :
1° L'enfant légitime né en France d'un père [étranger] qui y est lui-même né ;
2° L'enfant naturel né en France, lorsque celui de ses parents, à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie, est lui-même né en France.
Article 24 Est français, sauf la faculté de répudier cette qualité dans les six mois précédant sa majorité :
1° L'enfant légitime né en France d'une mère [étrangère] qui y est elle-même née ;
2° L'enfant naturel né en France, lorsque celui de ses parents, à l'égard duquel la filiation a été établie en second lieu, est lui-même né en France. »
En ce qui concerne le cas Cohn-Bendit (enfants nés en France de parents étrangers nés à l'étranger) : 
« Article 44
Tout individu né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française, à sa majorité si, à cette date, il a, en France, sa résidence et s'il a eu, depuis l'âge de seize ans, sa résidence habituelle en France, aux colonies ou dans les pays placés sous protectorat ou sous mandat français.
Article 45
Dans les six mois précédant sa majorité [21 ans à l'époque], le mineur a la faculté de déclarer, dans les conditions prévues aux articles 101 et suivants, qu'il décline la qualité de français. Il exerce cette faculté sans aucune autorisation [bien qu'il soit encore mineur]. 
Article 52
L'enfant né en France de parents étrangers peut réclamer la nationalité française par déclaration dans les conditions prévues aux articles 101 et suivants du présent code, si au moment de sa déclaration il a en France sa résidence et s'il a eu depuis au moins cinq années sa résidence habituelle en France, aux colonies ou dans les pays placés sous protectorat ou sous mandat français. 
Article 53
Le mineur âgé de dix-huit ans peut réclamer la qualité de français sans aucune autorisation.
S'il est âgé de seize ans mais n'a pas atteint l'âge de dix-huit ans, le mineur ne peut réclamer la nationalité française que s'il est autorisé par celui de ses père et mère qui a l'exercice de la puissance paternelle ou, à défaut, par son tuteur, après avis conforme du conseil de famille.
[Au cas de divorce ou de séparation de corps, ....] 
Article 54
Si l'enfant est âgé de moins de seize ans, la personne visée aux alinéas 2 et 3 de l'article précédent peut, à titre de représentant légal, déclarer qu'elle réclame, au nom du mineur, la qualité de français, à condition toutefois que ce représentant légal, s'il est étranger, ait lui-même depuis au moins cinq années sa résidence habituelle en France, aux colonies ou dans les pays placés sous protectorat ou sous mandat français. » 
Donc la nationalité française peut être réclamée pour un enfant à partir de l'âge de cinq ans. 
Les articles 101 et suivants précisent devant qui les déclarations doivent être faites.

Conclusion
De tout cela, il résulte que tant Gabriel que Daniel Cohn-Bendit étant nés en France pouvaient devenir français à 21 ans simplement en continuant d'habiter en France et en ne « déclinant » pas cette nationalité ; ou bien le devenir avant 21 ans en la « réclamant  ».
Pour ce qui est de Gabriel qui a atteint sa majorité en 1957 sans décliner la nationalité française, il est devenu français au plus tard à cette date. Je ne sais pas s'il l'a obtenue plus tôt (peut-être avant la Seconde Guerre mondiale). 
En ce qui concerne Daniel, il se peut qu'une demande ait eu lieu en 1958, mais n'ait pas réussi. Cette information (Wikipédia-de) reste à vérifier, dans la mesure où c'est l'année de son retour en Allemagne, avec sa mère : on ne voit pas bien pourquoi la nationalité française aurait été demandée à ce moment... 
A partir du moment où il vit durablement en Allemagne, l'article 44 de l'ordonnance de 1945 ne s'applique plus : il ne peut plus accéder à la nationalité française et les autorités françaises n'ont plus lieu de le requérir pour quelque service que ce soit. Au moment de sa majorité, en 1966, il est étudiant en France, mais ne répond pas à au moins un des critères exigés par l'ordonnance de 1945 (résidence habituelle depuis l'âge de 16 ans). 

Notes 
*loi de 1889 : Loi du 26 juin 1889 sur la nationalité (JORF,  28 juin 1889, page 2977, disponible sur ce blog)
*loi de 1927 : Loi du 10 août 1927 sur la nationalité (JORF, 14 août 1927, page 8697, disponible sur ce blog
*ordonnance de 1945 : Ordonnance  du 19 octobre 1945 (n° 45/2447, disponible en ligne et sur ce blog). 

A suivre 
*Daniel Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande en 1945 (et la question de l'apatridie des parents de Daniel Cohn-Bendit)
*Daniel Cohn-Bendit apatride 5 A propos de son acte de naissance



Création : 9 mars 2014
Mise à jour : 14 mars 2014
Révision : 26 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 7. Daniel Cohn-Bendit apatride 3  La législation française
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/03/7-daniel-cohn-bendit-apatride-3.html








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire