vendredi 14 mars 2014

10. Daniel Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande

Compte tenu de cette législation, les parents de Daniel Cohn-Bendit étaient-ils apatrides en avril 1945 et si c'est le cas, le sont-ils restés ?


Classement : histoire de l'Allemagne ; apatridie




Ceci est la suite des pages consacrées à l’apatridie de Daniel Cohn-Bendit :
*Daniel Cohn-Bendit a-t-il vraiment été apatride ? (première approche à travers des documents médiatiques récents)
*Daniel Cohn Bendit apatride 2 Éléments biographiques (analyse des notices Wikipédia française et allemande qui lui sont consacrées)

Sommaire de la page
La législation allemande sur la nationalité
Les parents de Daniel Cohn-Bendit étaient-ils apatrides en avril 1945 ?
Que se passe-t-il après la fin de la guerre ?
Compléments
1) une analyse de « Maître Eolas »
2) une note note d’information à destination des Allemands déchus de leur nationalité par le régime nazi qui auraient ensuite pris une autre nationalité

Source
Référence (Weil)
*Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ?, Grasset, 2002

La législation allemande sur la nationalité
La législation de l'empire et de la République de Weimar
Comme la législation française du Code civil de 1804, elle repose sur la filiation ; en effet, la loi prussienne de 1842 sur la nationalité (Weil, p. 193),  établit un système dans lequel ne sont pris en compte que la filiation et la naturalisation. Ce système est adopté par l’Empire allemand en 1871.
Par la suite, un changement notable est l'adoption de la loi de 1913 concernant les Allemands vivant à l’étranger, notamment les Allemands naturalisés à l’étranger, dont la nationalité allemande peut être maintenue.

La législation du IIIème Reich
La loi du 14 juillet 1933 permet de révoquer les naturalisations intervenues en Allemagne depuis le 9 novembre 1918 (jour de la chute de Guillaume II) et de prononcer des déchéances de nationalité contre les Allemands émigrés ; des mesures spécifiques contre les Juifs émigrés sont prises à partir de 1941 (Weil, p. 204).
Les mesures nazies sont abrogées en bloc après la guerre, officiellement, le 20 septembre 1945 (Loi n° 1 du Conseil de contrôle allié). 
On peut cependant se demander quelle était la validité de ces « lois » dès lors qu’un territoire était libéré (par exemple : le 20 août 1944 à Montauban). J’ai du mal à imaginer qu'un juge français puisse après la Libération tenir compte d'une mesure de déchéance de nationalité prononcée par un régime ennemi (mais sait-on jamais !). En fait, il ne suffit pas qu'un Etat déchoie quelqu'un de sa nationalité pour en faire un apatride : il faut encore que les autres Etats entérinent cette décision. Evidemment, on peut aussi envisager la déchéance de nationalité par un régime détestable comme un titre de gloire ; mais cela n'est valable que si les Etats étrangers considèrent aussi le régime en question comme détestable. Le plus ignoble dans tout cela est la situation où des personnes déchues de leur nationalité sont sanctionnées comme ressortissants du pays qui les a exclus à partir du moment où le pays d'origine et le pays d'accueil sont en guerre (ce qui a dû se produire pour des réfugiés allemands en France en 1939).

Remarque
La législation allemande a changé récemment avec deux lois (1991 et 2000) introduisant le critère territorial comme mode d'acquisition de la nationalité allemande, en plus de la filiation et de la naturalisation.

Les parents de Daniel Cohn-Bendit étaient-ils apatrides en avril 1945 ?
Compte tenu des éléments précédents, si, en se plaçant de façon paradoxale du point de vue du régime nazi encore en place à Berlin, on admet qu’ils étaient apatrides, on admet que Daniel Cohn-Bendit est né de parents apatrides et qu’il est donc lui-même apatride (du point de vue allemand), aussi longtemps que ses parents le restent.
A partir d'une certaine date ou événement, ses parents sont réintégrés dans la nationalité allemande, et leur fils aussi. Il faut donc aborder la question de la durée de l'apatridie de ses parents.

Que se passe-t-il après la fin de la guerre ?
Plusieurs possibilités sont envisageables pour la fin théorique de leur déchéance de nationalité :
*le 8 mai 1945, jour de la capitulation et de la fin de facto du régime nazi
*le 20 septembre 1945, jour de l'abrogation explicite de la législation nazie
*une autre date en fonction d'une législation particulière sur le sujet.
Il faut sans doute différencier deux périodes : 
1) la période antérieure à la création de la RFA
Il n'existe pas de gouvernement allemand ni de représentation allemande à l'étranger. Les questions de nationalités sont alors très théoriques et assez marginales.
Compléments sur ce point à venir.

2) la période suivant la création de la RFA
Dans la Constitution (Grundgesetz) de la République fédérale d'Allemagne (23 mai 1949), un alinéa est consacré à la question des déchus du régime nazi (Article 116, alinéa 2) : 
« Frühere deutsche Staatsangehörige, denen zwischen dem 30. Januar 1933 und dem 8. Mai 1945 die Staatsangehörigkeit aus politischen, rassischen oder religiösen Gründen entzogen worden ist, und ihre Abkömmlinge sind auf Antrag wieder einzubürgern. Sie gelten als nicht ausgebürgert, sofern sie nach dem 8. Mai 1945 ihren Wohnsitz in Deutschland genommen haben und nicht einen entgegengesetzten Willen zum Ausdruck gebracht haben. »
Traduction (sous réserves)
« Les ressortissants (Staatsangehörige) antérieurement allemands, auxquels la nationalité (Staatsangehörigkeit) a été retirée entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, et leurs descendants doivent être réintégrés (sind wieder einzubürgern) sur [leur] demandeIls sont considérés comme non déchus (nicht ausgebürgert) dès lors qu'ils ont pris domicile en Allemagne après le 8 mai 1945 et n'ont pas exprimé un avis contraire. »
Commentaire
Selon une interprétation ouverte, cela signifierait que les déchus du nazisme qui sont rentrés ou qui rentreront en Allemagne sont considérés comme non déchus ; ceux qui restent à l'étranger peuvent être rétablis s'ils le demandent.
Cette interprétation reste à vérifier.
Remarque
Il y a des problèmes de lexique juridique. En France, en matière de nationalité, on distingue l'« attribution » (par filiation ou par « double droit du sol ») et l'« acquisition » qui peut être soit « de plein droit  » (naissance en France), soit « par déclaration » (mariage), soit « par décret [individuel] » (naturalisation). Le mot « Einbürgerung » est traduit par « naturalisation », mais il pourrait aussi s'agir d'une acquisition de plein droit, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Sur la page suivante, j'étudierai un aspect marginal de la question, évoqué sur la page Daniel Cohn Bendit apatride (2) : éléménts biographiques, le fait que sa naissance n'aurait pas été déclarée à l'état civil.

Compléments
J’ai trouvé deux documents intéressants concernant l’apatridie des Allemands antinazis :
1) Le site de Maître Eolas 
Une page (du 11 juin 2009) est consacrée à la question : Daniel Cohn-Bendit peut-il se présenter à l’élection présidentielle (Français ? Pas français, mon Général) ; la question de l'apatridie est explicitement posée par la Question 9 « Etait il apatride avant ses 14 ans ? »
Réponse :
« C'est une bonne question et certains l'affirment un peu rapidement. Raisonnons, car nous avons peu d'informations fiables à ce sujet :
Il est né en France de parents étrangers qui à la date de sa naissance (4 avril 1945) sont déchus de leur nationalité allemande par les lois raciales nazies. Pour autant, quoique réfugiés en France à Montauban, je n'ai pas trouvé d'information disant qu'ils avaient reçu un passeport Nansen ("passeport des apatrides"). Ils étaient devenus depuis 1936 parents d'un enfant (Gabriel) devenu français. De toute façon à la chute du IIIe Reich, ils pouvaient légalement et légitimement se dire de nationalité allemande.
Donc, de quelques semaines après sa naissance à 1959 où il a acquis officiellement la nationalité allemande, Daniel est potentiellement allemand de naissance par le principe du droit du sang qui fonde la nationalité en Allemagne. Il est aussi né en France donc dans l'état du droit français de la nationalité d'alors avec la possibilité pour ses parents de revendiquer pour lui la nationalité française. En optant pour la nationalité allemande, il se privait de cette possibilité puisqu'à ce moment là l'Allemagne excluait totalement le principe de la double nationalité. »
Remarque : l'apatridie éventuelle des parents ne repose pas forcément sur « les lois raciales », du moins pas sur les lois de 1935 (« lois de Nuremberg ») qui ont privé les Juifs allemands, entre autres, de leurs droits civiques, mais pas de leur nationalité (au regard du droit international) [sous réserve de vérification]

2) Note d'information concernant les Allemands déchus de leur nationalité
Cette note d’information (en français) se trouve sur le site de l'Ambassade d'Allemagne au Canada (elle peut aussi concerner des descendants d'Allemands déchus)  :
« Les anciens citoyens allemands, qui ont perdu leur nationalité allemande sous le régime nazi pour des raisons politiques racistes [raciales] ou religieuses et qui résident à l’étranger peuvent faire une demande de naturalisation. Il en va de même pour leurs enfants, s’ils seraient devenus allemands si leurs parents n’avaient pas perdu leur nationalité allemande.
Privation de la nationalité entre 1933 et 1945
Entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, étaient en vigueur essentiellement deux lois qui ont privé des Allemands de leur nationalité. Selon la Loi sur la révocation des naturalisations et la privation de la nationalité allemande du 14 juillet 1933, certains Allemands ont perdu leur nationalité après la publication de leur nom dans la Gazette législative du Reich (« Reichsgesetzblatt »).
La grande majorité des anciens citoyens allemands, cependant, ont perdu leur nationalité quand le « Onzième décret de la Loi sur la nationalité du Reich » est entré en vigueur le 25 novembre 1941. Selon cette loi, les Juifs vivant hors de l’Allemagne ne pouvaient pas être citoyens allemands et elle affectait principalement les Juifs qui avaient quitté l’Allemagne pendant les quelques années précédant ou suivant immédiatement le début de la Deuxième Guerre mondiale.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Si vous avez perdu votre nationalité allemande à cause de l’une de ces deux lois, vous avez le droit d’obtenir une nouvelle naturalisation conformément à la législation allemande. Ceci s’applique dans la plupart des cas à vos descendants.
Si, pendant que vous viviez hors de l’Allemagne, vous avez acquis une nationalité étrangère avant que votre nom ait été publié dans la Gazette juridique du Reich le 25 novembre 1941 ou avant, vous aurez perdu votre nationalité allemande comme tout autre citoyen allemand l’aurait perdue. Cependant, si vous avez émigré de l’Allemagne nazie pour des raisons politiques et que vous avez fait une demande de naturalisation dans votre nouveau pays à la suite de cette situation, vous pourriez être en mesure de retrouver votre nationalité allemande. Dans de tels cas, vos descendants ne seraient pas admissibles à la nationalité allemande. »
Ce n'est pas parfaitement clair, mais il semble s'agir en fait du cas des Allemands déchus de la nationalité par les lois de 1933 ou 1941 qui se sont fait naturaliser à l'étranger : dans certains cas de figure, il est possible de se faire renaturaliser allemand. Je suppose (mais sait-on jamais !) que cela ne s'applique pas à ceux qui sont restés apatrides jusqu'à la fin de la guerre et qui ensuite n'ont pas demandé de naturalisation, ce qui est le cas des parents Cohn-Bendit.

A suivre
*L’acte de naissance de Daniel Cohn-Bendit
*A propos de la déchéance de nationalité d'Erich Cohn-Bendit


Création : 14 mars 2014
Mise à jour : 19 mars 2014
Révision : 21 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 10. Daniel Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/03/10-daniel-cohn-bendit-apatride-4-la.html








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